Halpular |
On dénombre un peu moins de 40 millions de Peuls (également appelés Fulbe, Halpular, Fulani ou Fellata, selon les pays), présents dans une quinzaine de pays du Sahel et d'Afrique de l'Ouest, ainsi qu'au Cameroun, en République centrafricaine et au Soudan.
Les Peuls
Leur répartition géographique
Les Peuls sont environ 16 800 000 au Nigéria (190 millions d'habitants), 4 900 000 en Guinée Conakry (13 millions d'habitants), 3 500 000 au Sénégal (16 millions d'habitants), 3 millions au Mali (18,5 millions d'habitants), 2 900 000 au Cameroun (24 millions d'habitants), 1 600 000 au Niger (21 millions d'habitants), 1 260 000 en Mauritanie (4,2 millions d'habitants), 1 200 000 au Burkina Faso (19 millions d'habitants), 580 000 au Tchad (15 millions d'habitants), 320 000 en Gambie (2 millions d'habitants), 320 000 en Guinée-Bissau (1,9 millions d'habitants), 310 000 en Sierra Leone (6,2 millions d'habitants), 250 000 en République centrafricaine (5,4 millions d'habitants), 4 600 au Ghana (28 millions d'habitants), et 1 800 en Côte d'Ivoire (23,5 millions d'habitants). Une communauté peule s'est également constituée au Soudan sur le chemin du pèlerinage à La Mecque .
En pourcentage de la population, les Peuls représentent donc environ 38 % de la population en Guinée Conakry, 30 % en Mauritanie, un peu moins de 17 % en Guinée-Bissau, 16 % au Mali et en Gambie, 12 % au Cameroun, 22 % au Sénégal, un peu moins de 9 % au Nigéria, 7,6 % au Niger, 6,3 % au Burkina Faso, 5 % en Sierra Leone et en République centrafricaine, un peu moins de 4 % au Tchad et des pourcentages très minimes au Ghana et en Côte d'Ivoire.
Les Empires peuls
Les Empires peuls |
À plusieurs reprises dans l'histoire, les Peuls ont établi des empires. Ainsi :
- dès le XVIIIe siècle, l'État théocratique du Fouta-Djalon en Moyenne-Guinée ;
- au XIXe siècle, l'Empire peul du Macina au Mali (1818-1862) de Sékou Amadou Barryi, puis Sékou Amadou, qui conquit Tombouctou ;
- au XIXe siècle également, l'Empire de Sokoto au Nigéria.
Ces empires ont pourtant été éphémères et, aujourd'hui, les Peuls ne contrôlent aucun État.
Le mode de vie des Peuls
Femmes Peules |
Traditionnellement, les Peuls sont des éleveurs transhumants, et ils le demeurent très majoritairement, même si peu à peu un certain nombre d'entre eux se sont sédentarisés, à la fois en raison des contraintes que leur imposent les progrès de la désertification dans certaines régions, parce que leur dispersion et leur mobilité favorisent les échanges et les métissages et parce que certains gouvernements ont mis en place des programmes visant à sédentariser les nomades.
Ils sont musulmans dans leur très grande majorité, voire dans beaucoup de pays pour leur quasi-totalité. Historiquement, ils ont joué un rôle important dans la pénétration de l'islam en Afrique de l'Ouest.
Les juifs d'Afrique ?
Amadou Hampate Bâ |
Les conflits classiques qui, dans leurs zones de transhumance, opposent périodiquement ces éleveurs nomades aux agriculteurs sédentaires, ainsi que le fait qu'ils soient, davantage que la plupart des autres ethnies, présents dans un nombre important de pays (et sont donc au contact de populations diverses), contribuent sans doute à expliquer cette réputation trop souvent entretenue par les populations auxquelles les opposent des différends.
L'idée qu'ils sont des vecteurs privilégiés du djihadisme est, elle, beaucoup plus récente et s'explique par leur rôle dans la montée récente du terrorisme dans le Centre du Mali (région du Macina, boucle du Niger).
Peuls et djihadisme
Peuls et djihadisme |
De tout temps, partout en Afrique, des conflits ont opposé les cultivateurs sédentaires aux éleveurs généralement nomades pratiquant la transhumance. Les premiers accusant les seconds de saccager leurs cultures avec leurs troupeaux, tandis que ceux-ci se plaignent de vols de bétail, de difficultés d'accès aux points d'eau et d'obstacles entravant leurs déplacements.
Mais, depuis 2010, les conflits, plus nombreux et plus meurtriers , ont pris une toute autre ampleur, en particulier dans le Sahel. L'extension continue des terres agricoles, nécessitée par une croissance démographique très rapide, limite progressivement les espaces de pâture et de transhumance, alors que les grandes sécheresses des années 1970 et 1980 ont incité les éleveurs à entreprendre une migration vers le sud, vers des régions dans lesquelles les sédentaires n'avaient pas l'habitude de la concurrence des nomades. En outre, la priorité donnée par les politiques de développement à l'élevage intensif tend à marginaliser les nomades.
Laissés pour compte des politiques de développement, s'estimant fréquemment victimes de discrimination de la part des autorités , les éleveurs transhumants éprouvent fréquemment le sentiment de vivre en milieu hostile et ils se mobilisent pour défendre leurs intérêts. Par ailleurs, les groupes terroristes et les milices qui s'affrontent en Afrique de l'Ouest et centrale s'efforcent d'instrumentaliser leurs frustrations afin de les enrôler.
Or, les éleveurs nomades sont dans leur très grande majorité des Peuls, qui sont en outre les seuls nomades présents dans tous les pays de la région.
Et la nature de certains des empires précités, ainsi qu'une certaine tradition combattante des Peuls , conduit de nombreux observateurs à considérer que la participation des Peuls à l'émergence récente (2015) d'un djihadisme terroriste dans le centre du Mali est en quelque sorte le produit combiné de l'histoire et d'une identité peule qui fait figure d'épouvantail. L'implication des Peuls dans l'extension de cette menace terroriste au Burkina Faso, voire au Niger, paraît confirmer cette manière de voir .
Pourtant, la situation des Peuls peut différer fortement selon les pays, que ce soit leur mode de vie (degré de sédentarisation, degré d'instruction, etc.), la manière dont ils se perçoivent, voire la manière dont ils sont perçus.
Peuls et djihadisme dans le centre du Mali : entre mutations, révoltes sociales et radicalisation
Si l'opération Serval est parvenue en 2013 à faire refluer les djihadistes qui occupaient le Nord Mali, et si l'opération Barkhane a permis d'éviter qu'ils ne reviennent sur le devant de la scène, les contraignant à la clandestinité, les attentats, non seulement n'ont pas cessé, mais ont gagné le Centre du Mali (dans la boucle du Niger, région également dénommée Macina) et s'y sont multipliés depuis 2015. Les djihadistes ne contrôlent certes par la région comme ils contrôlaient le Nord en 2012 et ils sont obligés de se cacher. Ils n'ont d'ailleurs pas le monopole de la violence, puisque des milices se sont constituées pour les combattre, parfois avec le soutien des autorités . Néanmoins, ils multiplient les attentats et les assassinats ciblés , et l'insécurité a atteint un degré tel que la région n'est plus réellement sous le contrôle du gouvernement, beaucoup de fonctionnaires ont abandonné leur poste, un nombre non négligeable d'écoles sont fermées et la dernière élection présidentielle n'a pas pu être assurée dans 5 % à 10 % des communes dans les cercles les plus touchés par les violences.
Dans une certaine mesure, cette situation procède d'une « contagion » venue du Nord. Délogés des villes du Nord qu'ils avaient occupées pendant quelques mois, ayant échoué à mettre en place un État indépendant, contraints à la discrétion, les groupes armés djihadistes, à la recherche de nouvelles stratégies et de nouveaux modes d'action, ont su utiliser des facteurs d'instabilité de la région Centre pour y acquérir une influence.
Certains de ces facteurs sont communs au Centre et au Nord. Il serait, toutefois, erroné de considérer que les graves incidents qui se produisent désormais régulièrement dans le Centre ne sont que l'extension du conflit du Nord. D'autres fragilités, en effet, sont plus spécifiques au Centre. Les objectifs des communautés implantées localement, que les djihadistes instrumentalisent, diffèrent d'ailleurs profondément. Alors que les Touaregs revendiquaient l'indépendance de l'Azawad , les communautés représentées dans le Centre n'avancent pas de revendications politiques comparables (dans la mesure où elles avancent des revendications !).
L'importance du rôle joué par les Peuls dans les événements du Nord, soulignée par tous les observateurs, est un indice de cette différence. Effectivement, le fondateur du FLM (Front de Libération du Macina), le plus important des groupes armés impliqués, Hamadoun Koufa , est un Peul, comme la grande majorité de ses combattants.
Peu présents au Nord, les Peuls sont nombreux dans le Centre. La concurrence traditionnelle entre éleveurs nomades et agriculteurs sédentaires, génératrice de conflits, est donc particulièrement marquée dans cette région, où l'on observe, comme dans toute la bande sahélienne, mais avec une intensité particulière, des tendances de fond qui rendent plus difficile la cohabitation entre nomades et sédentaires. Ces tendances sont essentiellement de deux ordres :
les changements climatiques, déjà en cours dans la bande sahélienne (la pluviométrie a chuté de 20 % au cours des 40 dernières années), obligent les nomades à rechercher de nouvelles zones de pâturage, entrant en concurrence avec les agriculteurs sédentaires , d'autant qu'un certain nombre de Peuls en sont venus à adopter un mode de vie sédentaire ou semi-sédentaire ;
la croissance démographique (le Sahel est l'une des très rares régions du monde qui n'ont pas encore amorcé leur transition démographique) qui conduit les agriculteurs à rechercher de nouvelles terres, fait particulièrement sentir ses effets dans cette région déjà très peuplée.
En outre, les Peuls sont particulièrement touchés par les conséquences de ces évolutions, dans la mesure où dans cette région où cohabitent toutes les ethnies du Mali, la concurrence entre éleveurs nomades et sédentaires les oppose à toutes les autres communautés ; ils sont particulièrement affectés par d'autres évolutions, conséquences des politiques étatiques… ou de l'absence de l'État.
A cet égard, on observe que :
- même si les autorités maliennes, contrairement à ce qui a pu se passer dans d'autres pays, n'ont jamais théorisé l'intérêt ou la nécessité d'une sédentarisation, le fait est que les projets de développement s'adressent davantage aux sédentaires (y compris sous la pression des bailleurs de fonds, généralement favorables à l'abandon du nomadisme, jugé moins compatible avec l’émergence d'un État moderne et rendant plus difficile l'accès à l'éducation) ;
- la mise en place en 1999 de la décentralisation, et les élections municipales, qui, si elles ont pu fournir aux Peuls l'opportunité de porter des revendications communautaires dans le champ politique, ont surtout contribué à faire émerger de nouvelles élites , et par la suite, à remettre en cause les structures traditionnelles issues de la coutume, de l'histoire et de la religion. Les Peuls ressentent ces transformations avec une intensité particulière, dans la mesure où les relations sociales au sein de leur communauté sont anciennes. Ces transformations interviennent, en outre, sous l'impulsion d'un État qu'ils ont toujours considéré comme « importé », produit d'une culture occidentale très éloignée de la leur ;
- L'irruption de la modernité, depuis une quinzaine d'années, dans cette région comme dans les autres régions du Mali, a également affecté les relations sociales traditionnelles, contribuant à une modification des relations entre ethnies comme au sein de chaque communauté. La diffusion du téléphone mobile, en particulier, a eu pour conséquence la création de nombreux emplois, occupés par des jeunes peu qualifiés qui n'avaient auparavant guère de perspectives professionnelles et dont beaucoup sont d'anciens esclaves. Or, dans la société peule, à l'organisation sociale complexe (cf. Annexe 1), les agro-pasteurs nobles, n'étant pas scolarisés ni alphabétisés, étaient à certains égards dépendants de leurs esclaves. L'apparition des moyens de communication modernes a accentué ce phénomène.
Les évolutions induites par la décentralisation (c'est-à-dire l'émergence de nouvelles élites, élues) comme par la modernité technologique se traduisent par une perte d'influence des anciens notables (garants de la stabilité sociale) et l'apparition de tensions entre groupes sociaux concurrents, qui tendent à exacerber les tensions traditionnelles - que les groupes djihadistes savent instrumentaliser.
La situation créée par la rébellion touarègue de 2012, et la survenue simultanée des djihadistes dans le Nord, mais aussi dans une partie du Centre, a aggravé les choses, dans la mesure où :
- elle a restreint la mobilité des troupeaux ;
- l'apparition de groupes armés a fourni aux communautés qui se jugeaient victimes de conflits anciens l'opportunité de rechercher des protecteurs. C'est ainsi que de nombreux Peuls ont rejoint les rangs du Mujao ;
- le processus de délitement de l'État (observé depuis les années 80) s'est aggravé (fuite à Bamako de fonctionnaires menacés, fermeture périodique d'écoles, etc.). La déshérence du système judiciaire est particulièrement préjudiciable (absence d'arbitres dans les conflits communautaires) ;
- l'insécurité ambiante a fourni le prétexte à une aggravation des exactions commises par l'armée et les forces de sécurité, dont les Peuls souffrent sans doute davantage que d'autres communautés .
Les réminiscences historiques, enfin, ne doivent pas être ignorées, même s'il convient de ne pas les surestimer. Dans l'imaginaire peul, l'Empire du Macina (la Diina, empire théocratique dont Mopti était la capitale) représente l'âge d'or du Centre.
L'héritage de cet empire comporte, outre les structures sociales propres à la communauté, un certain rapport à la religion : les Peuls se vivent et sont perçus comme les tenants d'un islam pur, dans le sillage de la confrérie soufie quaddiriya, sensible à une application rigoriste des préceptes du Coran.
La Diina avait lancé un djihad dont l'objectif était de « purifier » les sociétés musulmanes de la région, et l'enseignement islamique dispensé dans les territoires qui constituaient le cœur de l'Empire du Macina portent cette empreinte.
L'attitude de Koufa envers les grandes figures de l'Empire du Macina était certes ambiguë . Il apparaît néanmoins que l'islam traditionnellement pratiqué par les Peuls est potentiellement compatible avec certains aspects du salafisme, dont se réclament les groupes djihadistes.
Une tendance paraît d'ailleurs se dessiner depuis quelques mois dans le Centre : progressivement, les motivations initiales d'adhésion aux groupes djihadistes, purement locales, semblent se teinter davantage d'idéologie, tendance qui se traduit par une mise en cause de l'État malien et de la modernité en général. La propagande djihadiste, qui préconise le refus du contrôle de l'État (imposé par l’Occident et complice de celui-ci) et l'émancipation des hiérarchies sociales produites par la colonisation et cet État moderne, trouvent ainsi un écho plus « naturel » chez les Peuls que dans d'autres groupes ethniques.
- La régionalisation de la question peule dans le sahel
- L'extension du conflit au Burkina Faso
Les Peuls sont majoritaires dans la partie sahélienne du Burkina Faso , qui fait frontière avec le Mali, et aussi avec le Niger à travers les régions de Tera et de Tilabéry. Une forte communauté peule vit également à Ouagadougou, où elle occupe une grande partie du quartier Dapoya et Hamdallaye.
Depuis fin 2016, un nouveau groupe armé se réclamant de l’État islamique a fait son apparition Ansaroul Al Islamya ou Ansaroul Islam, dont le leader principal était Malam Ibrahim Dicko, un prédicateur peul qui, comme Hamadoun Koufa au Centre du Mali, s’était fait connaître à travers ses multiples attaques contre les Forces de défense et de sécurité du Burkina Faso et les écoles dans les provinces du Soum, du Seeno et de l’Oudalan.
Les leaders d’Ansaroul Al Islamiya sont d’anciens combattants du MUJAO au centre du Mali. Malam Ibrahim Dicko est aujourd'hui donné pour mort , et c'est son frère Jafar Dicko qui lui a succédé à la tête d’Ansaroul Islam.
Toutefois, l'action de ce groupe demeure pour le moment géographiquement circonscrite.
Mais, tout comme au centre du Mali, les Peuls font l’objet d’amalgames et c'est l'ensemble de la communauté qui est perçue comme complice des djihadistes ciblant les communautés sédentaires. En réaction aux attaques terroristes, les sédentaires forment leurs propres milices pour se défendre .
La situation au Niger
Femme Peule du Niger |
Contrairement au Burkina Faso, le Niger ne connaît pas de groupe terroriste installé sur son territoire et opérant à partir de celui-ci, malgré les tentatives de Boko Haram pour s'implanter dans les régions frontalières, notamment du côté de Diffa, en gagnant à sa cause de jeunes nigériens que la situation économique du pays semble priver d'avenir. Même s'il y parvient avec peine, le Niger a réussi jusqu'à présent à contrecarrer ces tentatives.
Cette situation s'explique, en particulier, par l'importance accordée aux questions sécuritaires par les autorités nigériennes, qui y consacrent une part très importante du budget national. Elles ont affecté des moyens conséquents (compte tenu de leurs possibilités) au renforcement de leur armée et de leur police, sont très actives dans la coopération régionale (notamment avec le Nigéria et le Cameroun contre Boko Haram) et accueillent de manière très ouverte sur leur territoire des forces étrangères mises à disposition par des pays occidentaux (France, États-Unis, Allemagne, Italie).
Par ailleurs, les autorités nigériennes – tout comme elles ont su, davantage que leurs homologues maliennes, prendre des mesures qui ont permis de désamorcer largement la question touarègue – ont également manifesté une attention plus poussée qu'au Mali à la question peule.
Le Niger, cependant, ne peut éviter entièrement la contagion venue de pays voisins. Il subit régulièrement des attaques terroristes, aussi bien au sud-est, dans les régions frontalières du Nigéria, qu'à l'ouest, dans les régions proches du Mali. Ce sont des attaques venues de l'extérieur : opérations menées par Boko Haram dans le sud-est et opérations menées depuis la région de Ménaka à l'ouest (la région de Ménaka est une zone privilégiée de « mûrissement » des rébellions touarègues au Mali).
Les assaillants venus du Mali sont fréquemment des Peuls. Ils n'ont pas la même puissance que Boko Haram, mais il est d'autant plus difficile de prévenir leurs attaques que la porosité de la frontière est grande. Beaucoup de Peuls concernés sont d'ailleurs Nigériens ou d'origine nigérienne : de nombreux éleveurs peuls ont, en effet, été conduits à quitter le Niger pour s'installer au Mali voisin lorsque, dans les années 1990, dans la région de Tilabéry, l'aménagement de périmètres irrigués a diminué leurs espaces de pâturages.
Depuis lors, ils ont été impliqués dans les conflits entre Peuls et Touaregs maliens (Imaghads et Daoussaks).
Avec la dernière rébellion touarègue au Mali, les rapports de force entre les deux groupes ont évolué : jusqu'alors, les Touaregs, qui s'étaient déjà soulevés plusieurs fois depuis 1963, disposaient déjà de nombreuses armes.
Les Peuls originaires du Niger se sont « militarisés » lorsque s'est constituée en 2009 la milice Ganda Izo . Celle-ci ayant vocation à combattre les Touaregs, des Peuls y ont adhéré (Peuls maliens comme Peuls venus du Niger), beaucoup ont ensuite été intégrés dans le MUJAO, puis dans l'EIGS.
Le rapport de force entre Touaregs et Daoussaks d'une part, Peuls de l'autre, s'en est trouvé modifié et est désormais plus équilibré. Des affrontements en ont résulté , faisant souvent des dizaines de victimes dans les deux camps.
Les Peuls du Nigéria
Les Peuls du Nigéria |
Pays le plus peuplé d’Afrique de l’Ouest avec 190 millions d’habitants, le Nigéria, comme de nombreux pays de la région, se caractérise par une dichotomie entre le Sud, habité majoritairement par des chrétiens Yorouba, et le Nord, dont la population est essentiellement musulmane, comportant de nombreux Peuls qui, comme partout, sont éleveurs .
La « ceinture centrale » du Nigéria, traversant le pays d'est en ouest , est une zone de rencontre entre ces deux mondes, théâtre d'incidents fréquents s'inscrivant dans un cycle de vengeances sans fin opposant des agriculteurs, généralement chrétiens (qui accusent les éleveurs peuls de laisser leurs troupeaux endommager leurs cultures), à des éleveurs généralement peuls (qui se plaignent de vols de bétail et de l'implantation croissante de fermes sur des zones traditionnellement disponibles pour la transhumance de leurs animaux).
Ces conflits ont été exacerbés dans la période récente, car, là aussi, les Peuls ont cherché à étendre vers le sud leurs routes de transhumance, les pâturages du Nord souffrant d'une sécheresse de plus en plus marquée, tandis que les agriculteurs du Sud, au dynamisme démographique particulièrement marqué, cherchent à implanter des fermes toujours plus au nord.
Ces derniers mois, cet antagonisme a pris une dangereuse tournure identitaire et religieuse entre deux communautés devenues irréconciliables, et qui sont régies par des systèmes juridiques différents depuis que la loi islamique a été réintroduite en 2000 dans douze États du Nord . Aux yeux des chrétiens, les Peuls veulent les « islamiser », y compris par la force.
Cette vision se nourrit du fait que Boko Haram, dont les chrétiens constituent l'une des cibles privilégiées, cherche à instrumentaliser les milices au profit de leurs adversaires peuls, et que, effectivement, un certain nombre de combattants de celles-ci ont rejoint ses rangs. Les chrétiens considèrent que les Peuls (avec les Haoussas, qui leur sont apparentés) fournissent le gros des troupes de Boko Haram. Perception excessive, d'autant qu'un certain nombre de milices peules demeurent autonomes. Mais le fait est que l'antagonisme s'est aggravé ces dernières années .
L'élection à la présidence de la République de Mohamadou Buhari, Peul et ancien leader de la plus grande association culturelle peule (le Tabital Pulaakou International), n'a pas contribué à apaiser les tensions. Le Président est fréquemment accusé de soutenir en sous-main ses parents peuls, au lieu de donner instruction aux forces de sécurité de réprimer leurs agissements délictueux.
Les Peuls de Guinée
Femme Peule de Guinée
La Guinée Conakry est le seul pays dans lequel les Peuls constituent l'ethnie la plus nombreuse, sans toutefois être majoritaire (environ 38% de la population). S’ils sont issus de la Moyenne-Guinée, la partie centrale du pays, qui englobe des villes comme Mamou, Pita, Labé et Gaoual, ils sont présents dans toutes les autres régions, où ils ont migré à la recherche de meilleures conditions d’existence.
La région n'est pas touchée par le djihadisme, et les Peuls n'y sont pas et n'y ont pas été particulièrement impliqués dans des conflits violents, si l'on excepte les conflits traditionnels entre éleveurs et sédentaires.
Ils contrôlent d'ailleurs l'essentiel du pouvoir économique et, dans une large mesure, les pouvoirs intellectuel et religieux. Très tôt alphabétisés, en arabe puis à l’école française, ils sont les plus instruits. Les imams, les maîtres coraniques, les cadres supérieurs de l’intérieur comme de la diaspora sont, dans leur majorité, peuls.
On peut pourtant s'interroger sur l'avenir, dans la mesure où ils ont toujours été, depuis l'indépendance, victimes de discriminations visant à les tenir à l'écart du pouvoir politique.
Le premier président guinéen, Sékou Touré, Malinké, avait pratiqué dès son arrivée au pouvoir une politique d'exclusion des responsabilités politiques et de la fonction publique, au prétexte que les Peuls auraient massivement voté « Oui » au référendum (c'est-à-dire en faveur du maintien dans la Communauté française) - prétexte mis en avant pour assurer le pouvoir de sa propre ethnie, moins nombreuse (environ 25 % de la population) .
Cette politique a été moins prononcée sous Lansana Conté, mais, alors même que les Peuls guinéens comme les observateurs s'attendaient à ce que la démocratisation s'accompagne de son abandon, le président Alpha Condé l'a largement reprise à son compte pour être élu en 2010 et l'a poursuivie depuis lors.
Le discours du pouvoir n'est pas sans effet. Les autres ethnies se sentent envahies par les Peuls, nomades de tradition qui sont parvenus à acheter bon nombre des meilleures terres et possèdent souvent les commerces les plus florissants et les demeures les plus resplendissantes. Dans leur perception, si les Peuls accédaient au pouvoir politique, ils auraient tous les pouvoirs et, compte tenu de la mentalité qu'elles leur prêtent, ils s'arrangeraient pour le garder ad vitam aeternam. Jusqu'à présent, les différentes communautés ont pourtant vécu en harmonie.
Mais la situation qui leur est faite est de plus en plus mal vécue par les Peuls, et génératrice de frustrations que la démocratisation récente (2010) permet désormais d'exprimer.
Les jeunes peuls, en particulier, reprochent de plus en plus à leurs aînés d'être trop complaisants. Ils sont par ailleurs, davantage que les anciens, sensibles à l'islam, plus rigoriste que l'islam guinéen traditionnel , que contribuent à propager les nombreuses associations qui, grâce à des financements en provenance des pays du Golfe, créent des écoles coraniques et fournissent un minimum de services sociaux (santé en particulier), notamment dans les régions rurales où l'État s'est progressivement absenté. On constate parfois des dérives, inconcevables il y a quelques années encore .
Ces jeunes, touchés en outre par un chômage croissant, sont de plus en plus attentifs à ce qui se passe dans le Mali voisin, et certains commencent à s'interroger : si seul le recours aux armes permet de se faire entendre, ne convient-il pas d'y songer ? Dans ce contexte, la prochaine élection présidentielle, en 2020, lors de laquelle Alpha Condé ne pourra pas se représenter (la Constitution interdisant plus de deux mandats), sera une échéance importante pour l'évolution des rapports entre les Peuls et les autres communautés.
Si une nouvelle coalition trop visiblement cimentée par la volonté de faire barrage aux Peuls l'emporte, des troubles risquent d'éclater, dont les conséquences seraient difficilement prévisibles .
Cellou Dalein Diallo |
Si le candidat qui a la faveur des Peuls (qui sera probablement à nouveau Cellou Dalein Diallo) l'emporte, il ne semble pas qu'il faille craindre une réaction violente des autres communautés (même si l'élite politique malinké se sentira dépossédée).
Pourtant, le nouveau président sera confronté à un dilemme particulièrement délicat et lourd de menaces : s'il ne prend pas rapidement des mesures pour parvenir à un meilleur équilibre au sein de la fonction publique , ses partisans déçus se feront rapidement entendre , éveillant les craintes des autres ethnies… Lesquelles seront également en alerte s'il procède à quelques nominations importantes au bénéfice de sa communauté.
Conclusion
Il n'y a pas de prédestination peule au djihadisme, qui serait induite par l'histoire des anciens empires théocratiques.
La société peule est, du reste, une société dont on méconnaît souvent la complexité (cf. Annexe 1) et les intérêts de ses composantes peuvent différer et être à l'origine de comportements contradictoires, voire de clivages intracommunautaires .
Mais sans doute une prédisposition à s'allier aux contestataires des ordres établis, inhérente à la condition d'itinérants qui est celle des Peuls, ainsi qu'à une dispersion géographique qui les condamne à demeurer toujours minoritaires et, subséquemment, à ne pouvoir peser de manière décisive sur le destin d'États calqués sur un modèle extérieur .
Les perceptions subjectives qui découlent de cette condition nourrissent l'opportunisme qu'ils ont appris à cultiver dans l'adversité – face à des contempteurs qui les considèrent comme des corps étrangers menaçants, alors qu'eux-mêmes se vivent en victimes discriminées et vouées à la marginalisation.
Annexe 1 - Organisation et stratification de la société peule dans le Centre du Mali
À l’instar d’autres sociétés agro-pastorales du Sahel, la société peule du centre du Mali a connu au cours des dernières décennies de profondes mutations . La communauté peule en tant qu’ethnie est loin de constituer un groupe homogène. La terminologie « Peul », elle-même, renvoie à une complexité sémantique du point de vue anthropologique qui mérite d’être décortiquée .
Les deux principaux groupes sociaux de l’ethnie peule, les nobles (Rimbé) et les descendants de captifs (Rimaybé) , auparavant appelés esclaves ou captifs (Maccube), se subdivisent chacun en plusieurs catégories sociales. Ces deux groupes constituent les castes supérieures . Chaque groupe a une fonction sociale à jouer pour la bonne marche de la société. Les descendants d’esclaves (Rimaybe), dont les ancêtres furent réduits en esclavages (Maccube) pour servir les maîtres (Rimbe) pendant les razzias et guerres fratricides entre tribus guerrières avant la colonisation française, se sont affranchis de cette domination avec le temps et à la faveur de l’abolition de l’esclavage sous la colonisation .
Néanmoins, les « nobles » ou « libres » au sens littéral (singulier dimo ; plur. rimɓe) sont les lignages politiquement dominants.
À côté de ces deux groupes principaux, que l'on pourrait qualifier de classes sociales , existe une troisième composante, le groupe des griots (Nyeenube), qui est considéré comme celui des castes inférieures. On méconnait fréquemment la catégorie des Diawambé (commerçants de bétails, courtisans et parfois conseillers des dignitaires peuls), qui est transversale, et que l'on retrouve de nos jours dans d’autres milieux au sud du Mali.
Dans l'histoire de la société peule, la question de l’esclavage est essentielle. Les propriétaires terriens étaient en général des Peuls sédentarisés et très islamisés, d’où leur statut de notables religieux (marabouts) alors que leurs captifs étaient issus pour la plupart des populations non islamisées comme les Bozos, les Dogons et les Bamanans.
Les tensions qui prévalent au centre du Mali, entre Peuls et différentes communautés sédentaires, tirent en partie leur source de ce fait historique. La mémoire collective en milieu sédentaire retient ce souvenir éphémère des hégémonies peules ayant réduit en esclavage plusieurs communautés sédentaires au temps de la gloire des empires peuls au XVIIIe siècle. Le récent djihadisme peul au centre du Mali est perçu par les autres communautés, principalement les sédentaires, comme signe d'une volonté des Peuls de restaurer leur hégémonie avec tous ses corollaires, parmi lesquels les razzias et l’« esclavagisation » des communautés noires. Dans la conscience collective peule, comme chez les Touaregs, les communautés noires, « baleebe » (pas en termes de couleur de peau, mais du fait de leur descendance soudanienne), sont perçues de la même façon que les esclaves, puisque la plupart de leurs esclaves sont issus desdites communautés.
La conjonction de la question de l’islam, de l’esclavage et de la « mise en valeur » de la colonie est étroitement établie. Ainsi, avec l’abolition de l’esclavage – qui a été un des mots d’ordre de la conquête coloniale et de la mission dite civilisatrice de la colonisation –, les marabouts (Modibaabe) et les élites locales (Ardo et Weheebe), qui puisaient leurs richesses et leur prestige de l’exploitation de leurs terres par les Rimaybe, ont cru devoir se réorganiser et trouver des stratégies pour pérenniser leurs statuts et privilèges sans avoir recours à l’esclavage.
Source: Fondation pour la recherche stratégique
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