La présence disproportionnée des Peuls parmi les groupes islamistes armés au Sahel a conduit à la stigmatisation de toute la communauté peule. Ceci nécessite un besoin urgent de restaurer un climat de confiance entre les leaders peuls, les autorités gouvernementales et les communautés voisines.
Des bergers peuls fêtant le retour du yaaral de Diafarabé dans le centre du Mali, non loin du delta du fleuve Niger. En 2005, l’UNESCO avait classe cette célébration comme en tant qu’héritage culturel intangible. Mais il demeure interdit depuis 2015. (Photo: Modibo Ghaly Cissé)Ces dernières années, la vie quotidienne au Sahel est marquée par une augmentation accrue d’attaques des groupes islamistes armés. Le Sahel devient ainsi l’épicentre de la crise. Des milliers de personnes ont été tuées et des millions se sont trouvées déplacées depuis 2012 à la suite de l’éclatement du conflit séparatiste qui a engendré guerre contre les islamistes armés. La présence disproportionnée des Peuls parmi les groupes islamistes armés responsables de cette violence dans le nord du Burkina Faso, dans l’ouest du Niger et les régions du nord et du centre du Mali a sonné le glas de la confiance intercommunautaire. La coexistence harmonieuse qui prévalait a volé en éclat. Aujourd’hui, les Peuls font ainsi l’objet d’une stigmatisation sans précédent nonobstant que les radicaux ne sont qu’une infime partie de leur communauté et n’en sont nullement représentatifs.
Comme l’insécurité s’est étendue dans différentes parties du Sahel, de nombreux observateurs sont enclins à simplifier la situation actuelle en la qualifiant de « djihadisme peul » ou une « rébellion peule ». Il s’agit des groupes insurgés tels que la Katibat Massina (également appelé Front de Libération du Maçina) dirigé par le prêcheur peul Hamadoun Koufa au Centre du Mali, Ansaroul Islam fondé par l’imam peul Ibrahim Malam Dicko au nord du Burkina Faso, les combattants peuls Tolebe du Niger qui ont combattu avec le Mouvement pour l’Unificité et le Jihad en Afrique de l’Ouest (MUJAO) et qui depuis des années grossissent les rangs de l’État islamique au Grand Sahara, Ansar Dine et d’autres affiliés du Jama’at Nusrat al Islam wal Muslimin (JNIM) qui ont en leur sein de groupes de combattants peuls.
La stigmatisation des Peuls a à son tour précipité les milices communautaires voisines comme les Donsos au centre du Mali et les Koglwéogos au Burkina Faso à cibler les membres de la communauté peule dans les attaques de représailles qui ont fait des centaines de victimes civiles. Ces attaques ont offert aux groupes islamistes armés des combattants sur un plateau d’argent. Cette situation a exacerbé la stigmatisation des Peuls avec comme corollaire un cycle mortel d’actes de vengeance et de représailles.
Les leaders peuls sont donc confrontés à un double défi. Il leur faut dissiper la stigmatisation accrue des Peuls et endiguer le recrutement continu de la part des groupes armés dans leur communauté.
Table - Composition des peuls parmi la population totale du pays
Les causes et les conséquences de l’embrigadement des Peuls dans le djihadisme
Les éleveurs peuls ont rejoint les groupes islamistes armés au Sahel pour des raisons aussi multiples que variées. Ces pasteurs nomades ont pris les armes pour lutter contre les exactions des agents de l’État qui utilisent les pasteurs comme une vache à lait dont ils tirent des revenus arbitraires. Dans d’autres cas, certains Peuls ont rejoint des groupes islamistes armés simplement pour gagner de l’argent et mettre fin à leur misère née des ravages des épidémies comme la peste bovine, la péripneumonie bovine et aussi les conséquences des deux décennies de sécheresse (1970 et 1980) qui avaient décimé le cheptel et appauvri certains éleveurs et leurs familles. Ceci dit, il y a d’autres motivations comme les conséquences des enlèvements du bétail appartenant aux Peuls par certains éléments de la rébellion touarègue.
Les rebelles touaregs se sont faits de nombreux ennemis en ce sens qu’en plus d’attaquer l’État, la rébellion a à chaque soulèvement pillé les commerces des arabes riches de leur trafic et razzié les bovidés des pasteurs peuls. Pendant que les groupes touaregs islamistes et séparatistes avançaient en 2012 dans le nord du Mali, ces différentes victimes, en l’occurrence les arabes, ont créé le MUJAO. Les pasteurs peuls ont rejoint le MUJAO en 2012 afin de se défendre contre le pouvoir touareg naissant avec le MNLA et ses alliés islamistes d’AQMI et d’Ansar Dine.
L’aspiration au changement social et l’idée de protection justifient la présence dominante des Peuls parmi les groupes islamistes armés du Sahel. La présence des djihadistes peuls au centre du Mali est considérée comme le principal vecteur du conflit intercommunautaire. La violence intercommunautaire fit des ravages sans précédent dans les villages et campements peuls à la suite de la collusion des militaires avec les milices composées de toutes les autres communautés non peules du centre du pays. Utilisés par l’armée comme éclaireurs, les miliciens se retrouvèrent dans le viseur des djihadistes. En bref, l’identité ethnique s’est fortement polarisée et a déclenché une série d’attaques et de représailles continues.
Les tueries de masses des peuls qui résultèrent de cette polarisation offrirent aux groupes islamistes armés des combattants. Ces derniers, pour se venger de l’État et des miliciens, rejoignirent les terroristes pour s’entraîner, s’armer et attaquer. Hamadoun Koufa, dans un enregistrement de 2019, disait avec ironie que certaines populations peules qui désignaient les radicaux par l’expression yimbe laddè (littéralement hommes de brousse en fulfuldè, la langue peule) ont également la même brousse comme demeure depuis qu’ils sont chassés comme du gibier par les milices et les soldats. Utilisant cette rhétorique, les djihadistes faisaient appel aux éleveurs peuls victimes d’exactions. Ils offraient ainsi leurs services aux éléments peuls désireux de se venger.
Les voix des leaders peuls face à la stigmatisation
La radicalisation de certains membres de la communauté peule, la stigmatisation et les exactions qui en suivirent, poussèrent les leaders peuls à prendre une nouvelle posture. Ainsi des meetings aux conférences de presse, en passant par des visites dans les camps de déplacés jusqu’aux voyages de réconciliation, ils ne ménagèrent aucun effort pour sortir leur communauté du gouffre. En plus, ils avaient dénoncé et condamné les exactions, soutenu les déplacés et apporté de soins aux blessés.
« Les leaders [peuls] s’étaient désolidarisés de la création des groupes violents. »
Ceci dit, il faut noter que les mêmes leaders s’étaient désolidarisés de la création des groupes violents tels que l’Alliance nationale pour la sauvegarde de l’identité peule et la restauration de la justice (ANSIRPJ). Ces leaders ont dénoncé avec véhémence l’attaque contre les forces armées maliennes à Nampala en juillet 2016, dirigée par l’ANSIRPJ. Sur les antennes locales et nationales, ils avaient montré que le président dudit mouvement, le touareg Oumar Aldjana ne représente pas le pulaaku (la communauté peule en fulfuldè) et ne saurait parler en son nom.
Cette mobilisation des leaders peuls est diversement appréciée. Pendant que certains voient ces interventions d’un bon œil, d’autres restent très critiques à l’égard des dirigeants peuls eux-mêmes. Pour de nombreux observateurs notamment peuls, les cadres peuls, au firmament de leur pouvoir, n’ont pas aménagé le moindre espace pastoral pour amoindrir les corvées des éleveurs. Donc ce n’est pas au crépuscule de leur vie qu’ils vont défendre la cause des Peuls. C’est pourquoi leur mobilisation pour défendre la cause des Peuls maintenant, tout comme leur appel à la non-violence, n’ont pas eu l’effet escompté sur de nombreux pasteurs peuls.
Au contraire, dans certains cas, ces appels ont aiguisé les griefs. Certains éleveurs parlent des fils d’agriculteurs qui, une fois à des postes de responsabilité, aménagent tout azimut l’espace agricole pendant que les fils d’éleveurs pensent à se faire un nom et à s’enrichir pour eux-mêmes. Beaucoup d’entre eux attisent le feu entre les populations peules elles-mêmes sur la base des vieilles rancunes. Les membres de l’association des victimes d’enlèvements de bétail dans les années 1990 disent n’avoir jamais bénéficié du soutien de ceux d’entre eux qui étaient au pouvoir à l’époque. C’est pourquoi, ils n’ont jamais été dédommagés. Cela explique aussi en partie pourquoi ils ne s’attendent pas à un résultat différent pendant ou après ce conflit.
Les leaders peuls face aux représailles des groupes armés islamistes
Les responsables locaux et nationaux avaient négligé les menaces posées par les groupes islamistes armés, ne prenant pas leurs organisations au sérieux dans des régions telles que le centre du Mali et le nord du Burkina Faso. Ceux qui épousent le message djihadiste, notamment les militants de Katibat Massina et d’Ansaroul Islam, ont profité de cette situation pour atteindre les villages et y diffuser leur message radical. Ils effectuaient également des visites impromptues dans des mosquées où ils prêchaient le djihad. Les groupes islamistes armés ont commencé à cibler les dirigeants locaux au sein de la communauté peule en 2014-2015 pendant que lesdits leaders étaient réfractaires à la présence et aux activités des djihadistes.
Les messages radicaux étaient taillés sur mesure pour le recrutement local, dénonçant les exactions subies par les communautés locales aux mains des autorités gouvernementales et la monétarisation de l’accès aux pâturages. Ils critiquaient également les leaders locaux (tels que les diowros et les élites politiques), les grandes familles maraboutiques, l’islam modéré pratiqué dans la région et la démocratie. En fin de compte, les groupes islamistes armés ont pu recruter parmi les membres de la communauté peule, notamment les éleveurs, qui ont exprimé ces griefs et qui étaient moins liés aux villages de la région.
Une peule au Burkina Faso. (Photo: Guillaume Colin & Pauline Penot)
Les attaques qui en ont résulté ont retourné une tranche importante de la population locale contre les groupes extrémistes. C’est à cause de ces cibles que le processus d’implantation des groupes armés radicaux avait fait l’objet d’un rejet en bloc par les populations autochtones du centre. Des prières collectives aux prêches allant à l’encontre des leurs, les populations locales, sous la houlette de leurs leaders, avaient usé de tous les moyens pour prévenir l’avènement des éléments armés dans leurs terroirs respectifs.
Certains chefs locaux avaient même sollicité la présence des forces armées maliennes dans leurs villages s’attirant la colère des éléments radicaux. Ces derniers avaient alors commencé à prendre pour cible lesdits chefs peuls, dont certains avaient été assassinés. Aujourd’hui encore, ceux d’entre eux qui refusent de soutenir les groupes islamistes armés continuent de faire face à des menaces de mort et à l’extorsion de leur bétail.
Malgré ces menaces, le discours djihadiste n’a pas pu mobiliser les foules dans le milieu peul. Dans l’ensemble, la plupart des responsables coutumiers locaux n’ont pas été convaincus par les objectifs des groupes islamistes armés. Ils sont indifférents par manque de conviction ; mais par peur, ils s’adaptent. Il en est de même pour les cadres peuls qui dans leur grande majorité n’ont pas été convaincus par les objectifs visés par les groupes armés. Plutôt, les leaders peuls pour la plupart se sont désolidarisés de l’idéologie islamo-communautariste.
On peut ajouter la complexité de la communauté peule à cause de sa diversité comme un autre défi au recrutement de masse. Répartis en plusieurs sous-groupes et dans toutes les régions du Mali et même du Sahel, le pulaaku n’est pas une communauté homogène. Par exemple, l’élevage extensif et transhumant qui les caractérisait n’est plus pratiqué par tous. Il est révélateur que ceux qui continuent à se battre dans ce mode de vie vulnérable aient tendance à être les plus sensibles au discours extrémiste, alors que les autres membres de la population peule dans la région ont rejeté le djihad.
Pour d’autres encore, des motifs religieux servent de base à leur rejet du djihad. La plupart des Peuls musulmans du centre du Mali et du Sahel suivent l’Islam d’obédience malékite et considèrent le wahhabisme comme extrémiste et contraire à leurs croyances. Dans la conscience collective, les radicaux prônent cet Islam rigoriste et belliqueux d’où le rejet de l’idéologie islamiste remarqué par les moudjahidines eux-mêmes. Dans un enregistrement de 2015, un prêcheur disait déplorer « l’absence de grands maîtrisards du coran et de riches éleveurs dans leurs rangs ». Dans un autre enregistrement de 2016, Hamadoun Koufa se lamentait en disant « toujours attendre l’engagement des descendants des grandes maraboutiques dans le jihad ». De telles déclarations attestent que tous les Peuls ne soutiennent pas la cause des djihadistes, même si certains éléments de leur communauté constituent l’épine dorsale du mouvement djihadiste dans une partie du Sahel.
Répondre à la stigmatisation du Pulaaku
Les leaders communautaires peuls et autres doivent se défaire de leur communautarisme et se parler franchement en tant que compatriotes. Car il ne sert à rien de reprocher à l’autre ce que nous-mêmes faisons. Les leaders peuls doivent prendre du recul par rapport à l’attrait de la rhétorique réactionnaire qui encourage la haine des autres groupes. Ils devraient plutôt exprimer les objectifs des communautés peules en termes d’espoir, de paix et d’unité. La rhétorique de division doit être condamnée et dénoncée, tout comme les appels à la violence l’ont été.
« Le modèle du soldat-éducateur dans les forces de défense et de sécurité a été presque oublié à une époque où les besoins sont peut-être les plus importants. »
Les États du Sahel doivent demander des comptes à leurs forces armées et les pousser à opérer dans le strict respect de la loi de sorte que disparaissent les perceptions d’abus de pouvoir à leur endroit. De même, les gouvernements doivent punir les milices responsables d’atrocités. Les soldats ont le droit de réprimer, mais ils ont aussi d’autres rôles à jouer, ils doivent en effet s’efforcer d’éduquer les populations locales. Le modèle du soldat-éducateur dans les forces de défense et de sécurité a été presque oublié à une époque où les besoins sont peut-être les plus importants.
Les États et les dirigeants locaux doivent user de tous les canaux pour mettre fin à la stigmatisation du Pulaaku comme l’avait fait en son temps le régime d’Amadou Toumani Touré au Mali afin d’éviter la stigmatisation des Touaregs. Dans un sketch diffusé dans toutes les langues nationales, les acteurs expliquaient aux maliens que tout Touareg n’est pas rebelle. Ils se doivent de reproduire le même sketch à l’endroit des Peuls qui sont de nos jours dans une situation similaire à celle des Touaregs.
Les partenaires internationaux doivent tenir compte des discours émanant des populations locales et créer les conditions d’un dialogue inclusif pouvant conduire à une paix des braves. Ils doivent avant tout prioriser les dires des communautés victimes de la crise et condamner la création des milices et les exactions extra-judiciaires commises par la coalition armées/milices. Ils doivent également contribuer à garantir que ces voix soient protégées des représailles des groupes islamistes armés.
Modibo Ghaly CISSE est doctorant en anthropologie au centre d’études africaines de l’université de Leiden (Pays-Bas). Ses recherches sont axées sur l’extrémisme violent précisément sur les trajectoires de la radicalisation des pasteurs nomades peuls au Sahel en général et au centre du Mali en particulier.
Ressources complémentaires
Centre d’études stratégiques de l’Afrique, « Augmentation et diversification de la menace provenant des groupes islamistes militants », Infographie, 29 janvier 2020.
Laurence-Aïda Ammour, « Comment les groupes extrémistes violents exploitent les conflits intercommunautaires au Sahel », Éclairage, 14 janvier 2020.
Pauline Le Roux, « Répondre à l’essor de l’extrémisme violent au Sahel », Bulletin de la sécurité africaine N° 36, Centre d’études stratégiques de l’Afrique, 14 janvier 2020.
Centre d’études stratégiques de l’Afrique, « Strategies for Peace and Security in the Sahel », Vidéo, 27 septembre 2019.
Centre d’études stratégiques de l’Afrique, « Réduire la violence entre agriculteurs et éleveurs au Mali », Éclairage, 8 août 2019.
Kaley Fulton et Benjamin P. Nickels, « Les pastoralistes d’Afrique : Un nouveau champ de bataille pour le terrorisme », Éclairage, 11 janvier 2017.
En plus: Contrecarrer l’extrémisme Aqmi le Sahel
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