Environ 6000 Peuls ont dû fuir les combats en avril 2020 dans la province du Yatenga au Burkina Faso. AP/Sam Mednick
Des appels à la haine et au meurtre des Peuls du Burkina Faso, dont certains appartiennent aux groupes jihadistes qui ensanglantent le pays, font craindre une flambée de violence pouvant aller jusqu'à la "guerre civile".
L'inquiétude gagne même le gouvernement burkinabè. Les autorités sont montées au créneau pour condamner avec fermeté ces appels au meurtre lancés sur les réseaux sociaux, principalement WhatsApp.
Des enregistrements audio y ont été postés il y a dix jours, invitant les populations "autochtones" à tuer massivement les Peuls, minoritaires au Burkina Faso - 1,5 million sur 20,5 millions d'habitants - comme dans la plupart des pays d'Afrique de l'Ouest et du Centre, où ils sont aussi stigmatisés.
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"Ce sont des propos d'une extrême gravité qui n'ont d'équivalence que les dérives de la radio Mille collines qui ont conduit au génocide rwandais (en 1994), une des pires tragédies de l'humanité et de laquelle nous devons savoir tirer des leçons", a-t-on pu déclarer en Conseil des ministres il y a quelques jours.
"Votre communauté est à l'origine de l'insécurité qui sévit dans notre pays"
Notant qu'il "est question d'appels directs et actifs au meurtre, à des tueries de masse, à l'épuration ethnique et à la sédition", la déclaration estime qu'il faut "agir résolument et fermement avant que l'irréparable ne se produise".
Ces appels au meurtre ne sont pas les premiers. Le 1er janvier 2019, jusqu'à 150 Peuls selon la société civile, 50 selon un bilan officiel ont trouvé la mort en représailles à l'attaque du village de Yirgou (nord) par des jihadistes armés présumés.
Ce sentiment s'est vite généralisé suite au constat que 90% des combattants des groupes terroristes sont d'origine peule.
Drissa Traoré, enseignant et analyste politique burkinabè
D'autres tueries ont suivi dans le nord du pays, en particulier à Arbinda, en mars 2019, et un an plus tard dans les villages de Dinguila et Barga, faisant là encore des dizaines de morts, en majorité des Peuls.
À Arbinda, "en réponse au renforcement de la présence d'islamistes armés, les forces de sécurité burkinabé auraient exécuté au moins 116 hommes non armés accusés d'avoir soutenu ou hébergé des islamistes armés", affirmait l'ONG Human Rights Watch (HRW). "À quelques exceptions près, les victimes appartenaient à l'ethnie peule".
Fin juillet, un homme a été interpellé pour avoir publié un enregistrement audio contenant "des propos diffamatoires, outrageants et incitatifs à la haine et à la violence ethnique", adressé à deux leaders religieux et coutumiers peuls.
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"Votre communauté est à l'origine de l'insécurité qui sévit dans notre pays", pouvait-on y entendre. "Parmi la soixantaine d'ethnies, c'est la vôtre qui est à la base des tueries" commises par les jihadistes depuis 2015 au Burkina Faso, y faisant des milliers de morts et quelque deux millions de déplacés, accusait-il.
"L'amalgame est vite fait"
Drissa Traoré, enseignant et analyste politique burkinabè, estime en le regrettant que "ce sentiment s'est vite généralisé suite au constat que 90% des combattants des groupes terroristes sont d'origine peule".
Il cite un trombinoscope des jihadistes les plus recherchés actualisé par l'armée en mai 2022, qui indique que sur 136, au moins 120 sont d'origine peule.
Il faut voir le nombre de victimes peules dans les violences jihadistes pour se convaincre que cette communauté paie le plus lourd tribu.
Lassina Ouédraogo, analyste politique burkinabè
"L'amagalme est donc vite fait et on assimile les Peuls aux terroristes alors que 90% des Peuls n'ont rien à voir avec le terrorisme", note M. Traoré. Il juge que "tout cela est symptomatique des profondes fractures sociales qui ont été exacerbées par le terrorisme. Elles constituent à présent une grave menace pour la survie même de la nation qui frôle chaque jour le chaos".
Autre analyste politique burkinabè, Lassina Ouédraogo, estime aussi que l'amalgame "Peul égal terroriste" ne tient bien sûr pas.
"Il faut voir le nombre de victimes peules dans les violences jihadistes pour se convaincre que cette communauté paie le plus lourd tribut : les Peuls comptent le plus grand nombre de morts tués lors des attaques, et enregistrent le plus grand nombre de déplacés internes", dit-il, ajoutant: "Dans la quasi totalité des localités où ils sont installés, ils sont rejetés ou même chassés, accusés d'être des complices".
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Pour Yoporeka Somet, directeur du Centre d'études de la renaissance africaine (Cera), "nous ne devons pas céder au piège que le terrorisme nous tend, à savoir la stigmatisation meurtrière de citoyens sur la base de leur appartenance réelle ou supposée à une communauté dont certains membres sont impliqués dans des attaques terroristes".
Alpha Barry, ancien ministre des Affaires étrangères du président Roch Marc Christian Kaboré, renversé par le putsch militaire de janvier 2022, a alerté dans une récente tribune sur "le risque d’une vraie guerre civile", après la diffusion des enregistrements anti-Peuls.
Il a appelé les politiques, religieux, intellectuels, chefs coutumiers et autres leaders à "aller sur le terrain, rencontrer les populations, mener des actions fortes pour prôner la cohésion et le vivre-ensemble qui sont le ciment de notre nation".
Source: TV5 MONDE